Samedi, le bonheur. Commence avec le cours de danse.

Je suis arrivée une fois bien en retard au cours de l'hiver. Lorsque j'ai passé la porte du studio, la musique et la danse avaient commencé depuis quelques bonnes minutes déjà. J'ai été suffoquée par l'air surchauffé du studio, et moite et les relents de fauve; et surtout par la beauté devant moi. Une bonne dizaine de filles, toutes synchro, en train de lever les bras ensemble, et de se pencher en avant gracieusement, dans le même tempo, comme un seul et unique corps. Je comprends que Martial, parfois, ne dise rien et s'arrête pour nous "contempler". Parfois une bouteille d'eau à la main, et parfois rien, pas d'alibi. On n'est pas les plus gracieuses du monde, mais on est là, dans l'instant, coordonnées et ensemble.

Autre instantané, fin de cours, port de bras. "Je vais voir si vous savez". Martial lance la musique. Ah non, c'était sans musique. Il vient se planter en face de moi, exactement entre moi et le miroir, bras croisés, torse bombé. Impressionnant. Je le foudroie du regard, j'essaie de le dissuader mentalement de rester là : "ôte-toi de mon reflet!". Je crois qu'il est un peu télépathe et je suis sûre qu'il comprend mieux que tout le langage du corps, mais il est resté sourd. Aucune d'entre nous ne bougeait, et les secondes commençaient à devenir longues. Bon allez... Bras en 1ere... seconde... Un imperceptible mouvement du poignet, et me voila avec le bras droit levé... Je ne me vois pas dans le miroir, mais je devine les autres filles, parfaitement synchrones, le même mouvement au même moment par une dizaine de bras. Affolement, aller-retour droite-gauche du regard en biais. Frémissement du bras gauche, une dizaine d'autres bras frémissent et amorcent le même mouvement. J'ai l'impression d'être à la tête d'une armée de bras, je vois et je sens les autres plus que les miens. C'est une mise en abime à travers les mouvements et les corps des autres danseuses. J'ai "compris" ce jour là pourquoi on parle de corps de ballet.